Jump to navigation

Centre Dramatique National Besancon Franche-Comté Direction Célie PAUTHE

Rechercher sur le site

MENU
  • Accueil
  • Créations & tournées
  • La saison
    • La Saison 22/23 en un coup d'œil
    • ------
    • [BUS] Hamlet
    • Comme il vous plaira [Fragments]
    • [BUS] Boudoir
    • Plutôt vomir que faillir
    • Bandes
    • Jours de joie
    • [BUS] HARTAQĀT (HÉRÉSIES)
    • Le cœur au bord des lèvres Asmahan/variation
    • Carte Noire nommée désir
    • L’Étang
    • Par Autan
    • Misericordia
    • Ombre (Eurydice parle)
    • Vertige (2001-2021)
    • Passé – je ne sais où, qui revient
    • Après le silence
    • L'Appel Sauvage
  • Le CDN
    • Édito
    • Célie Pauthe
    • L’équipe
    • Qu'est-ce qu'un CDN ?
    • Nos partenaires
    • Les commerçants partenaires
    • Où trouver les programmes du CDN ?
    • Le Projet MP#3
    • Le fonds de dotation du CDN
    • Mentions légales
    • Saisons précédentes
  • Les Ouvertures
    • En écho à l'œuvre
    • De l'art dans le hall
    • Levers de rideau
    • Rencontres Débats
  • Publics
    • Découvrir le théâtre autrement
    • Stages et ateliers
    • Avec l'enseignement supérieur, artistique et professionnel
    • Avec le public scolaire
    • #UneSaisonEnPartage
  • Infos Pratiques
    • Contact
    • Les tarifs
    • Stages et offres d'emploi
  • Inscription à la newsletter
  • Contacts / Venir au CDN
  • Billetterie en ligne
  • Le CDN de Besançon sur facebook
  • Suivre le CDN de Besançon sur Twitter
  • Suivre le CDN de Besançon sur Instagram

Manifestation artistique et solidaire en soutien au peuple ukrainien

Actualité

Tweet

Dimanche 13 Mars 2022 - 11h00

Lectures de textes en français et en ukrainien, suivies d’une rencontre.

CDN Besançon - Le CDN est situé face au Parc Micaud, entre l'hôtel Mercure et le Casino. Arrêt Tram : Parc Micaud

En présence de Antonina Gain, Yana Sotnyk, des représentants de la société ukrainienne, Bleuenn Isambard (collaboratrice du Théâtre Knam), Stéphane Ravacley et Elodie Delaune (Les Convois solidaires), l’équipe artistique d’Antoine et Cléopâtre, Mme la maire de Besançon ou un représentant de la ville.

Ce dimanche matin sera pour nous l’occasion de découvrir des auteurs ukrainiens (dramaturges et poètes) et de manifester notre solidarité envers l’ensemble du peuple et des artistes ukrainiens, comme de toutes celles et ceux, en Russie, en Biélorussie, qui osent faire entendre des voix dissidentes. S’en suivra une rencontre avec de nombreux représentants de la société ukrainienne et des Convois solidaires tout juste revenu de la frontière ukrainienne en Pologne pour témoigner du convoi humanitaire qu’il aura organisé avec de très nombreux volontaires.

 

LISTE DES TEXTES LUS :

POÈME 1

Peu m’importe
De vivre ou non en Ukraine.
Que l’on se souvienne de moi ou que l’on m’oublie,
De moi dans ces neiges étrangères.
Cela m’importe peu.
En captivité, j’ai grandi avec des étrangers,
Sans que les miens ne me pleurent,
En captivité, en pleurant, je mourrai
Et j’emporterai tout avec toi
Ne laissant même pas une seule petite trace
Dans notre glorieuse Ukraine,
La nôtre – qui n’est plus notre propre terre.
Et le père dans ses souvenirs,
Le père ne dira pas à son fils : « Prie,
Prie, mon fils : pour l’Ukraine
Il fut torturé jadis.  » 
Peu m’importe, si demain,
Ce fils priera, ou non…
Mais ce qui m’importe réellement
C’est de constater qu’un ennemi ignoble
Endort, dérobe et consume l’Ukraine
La volant et la violant …
Ô, comme cela m’importe !

Taras Chevtchenko, 1847 / Trad Jacky Lavauzelle


POÈME 2

Le Caucase
À mon ami très cher Jacob de Balmain
 
Qui changera ma tête en fontaine
et mes yeux en source de larmes
que je pleure jour et nuit les tués ?…
(Jérémie, 9,1)
Un massif montagneux entouré de nuages,
Tout couvert de chagrin, tout arrosé de sang.
Depuis les temps immémoriaux
Un aigle y châtie Prométhée,
Chaque jour lui frappe les côtes,
Chaque jour lui brise le cœur.
Il le brise mais ne peut boire
Le sang vivant — le cœur revit
Et de nouveau se met à rire.
Notre âme ne peut pas mourir,
La liberté ne meurt jamais.
Même l’insatiable ne peut
Pas labourer le fond des mers,
Pas enchaîner l’âme vivante,
Non plus la parole vivante,
Diffamer la gloire de Dieu,
Du Dieu très grand.
Ce n’est pas nous qui discuterons avec toi,
Ce n’est pas nous qui jugerons de tes affaires.
Il nous faut seulement pleurer, pleurer, pleurer,
Il ne faut que pétrir notre pain quotidien
Et la sueur mêlée à du sang et des larmes.
Notre vérité dort, on dirait qu’elle est ivre,
Et pendant ce temps-là nos bourreaux nous maltraitent.
Quand se réveillera-t-elle ?
Quand iras-Tu te reposer,
Dieu fatigué, nous laissant vivre ?
Nous croyons en Ta force, Ô Dieu,
Et nous croyons en Ton esprit.
La vérité se lèvera !
La liberté se lèvera !
Tous les langages te loueront
Pour tous les siècles à venir.
Mais les rivières pour l’instant
Coulent toutes pleines de sang.
Un massif montagneux entouré de nuages,
Tout couvert de chagrin, tout arrosé de sang.
[…]
Pour toi donc l’exil à ton tour, mon seul ami,
Mon bon Jacob. Ce n’est certes pas pour l’Ukraine
Mais c’est pour son bourreau que tu répands ton sang.
Tu as dû boire le calice moscovite,
Le poison moscovite il t’a fallu le boire.
Mon bon ami Jacob, inoubliable ami,
Que ton âme toujours vive dans notre Ukraine :
Vole au-dessus des berges avec les Cosaques,
Cherche les tombes remuées parmi la steppe,
Verse de tristes larmes avec les Cosaques.
Attends-moi dans la steppe à mon retour d’exil.
En attendant cet heureux jour,
Mes pensées, ma peine féroce,
Je les sèmerai ; qu’elles croissent,
Qu’elles causent avec le vent.
Et le vent doux de notre Ukraine
Avec la rosée portera
Mes pensées au loin jusqu’à toi.
Ami, tu les accueilleras,
Pleurant des larmes fraternelles,
À voix basse tu les liras,
Tu te souviendras de la steppe,
Et des tombes et de la mer
Et tu te souviendras de moi.
 
Taras Chevtchenko 1845 - Traduit par Eugène Guillevic


MAïDAN Inferno

De Neda Nejdana
Pièce en cinq intermèdes avec prologue, deux épilogues, monologues et quatre mondes
(ПОТОЙБІЧ ПЕКЛА, Paris-Kiev 2014)
Traduit de l’ukrainien par Estelle Delavennat, avec la collaboration de Christophe Feutrier et Tatiana Sirotchouk
Éditions L’Espace d’un instant

EXTRAIT 1

Séquence 1
Prologue. Communion infernale
Il fait nuit. Sur la scène, une tente, un feu dans un baril, des
pancartes avec des inscriptions, des caricatures et des symboles.
On entend un brouhaha, des rires, une guitare. À l’avant-scène,
près du feu, Oreste et Ania. Il fait un froid de canard.
Oreste — Alors, qu’est-ce que tu réponds ? Oui ou non ?
Ania — Tu parles de quoi ?
Oreste — Comment ça, tu n’as pas compris ?
Pause.
Ania — Ne demande jamais à une fille « oui ou non ».
Oreste — Et toi, ne dis jamais « jamais ». Alors quoi, tu vas me
répondre, oui ou non ?
Ania — tu demandes ça alors que tu ne m’as pas dit le plus
important. ça ne va pas.
Oreste — Qu’est-ce qui est important ?
Ania — Comment ça ? Tu ne sais pas ?
Oreste, après un long soupir — C’est compliqué, avec vous, les
filles… Et il n’y a pas de mode d’emploi…
Ania — Eh non… Et avec vous, les mecs, c’est encore pire… Au
fait, je suis moi-même, pas « les filles ».
Oreste — Tu es singulière et unique. Mais sans mode d’emploi.
Ils rient. Pause, ils se regardent. Elle baisse les yeux, il s’éloigne,
jette quelque chose au feu. Elle s’approche, se réchauffe les
mains.
Oreste — Tu as froid ? Viens par là. (Il l’enlace pour la réchauffer.)
Ania — Un peu. Qu’est-ce que tu vas faire, maintenant ? Tu vas y
aller ?
Oreste — Je ne sais pas encore…
Ania — Et ton travail ?
Oreste — Pour l’instant, j’en cherche…
Ania — L’alpiniste cherche de nouveaux sommets ?
Oreste — Non, il n’y a pas de travail en permanence dans l’alpinisme.
Ania — Donc tu n’as rien…
Oreste — C’est ça… Tu as tout compris… Du coup, je suis par
monts et par vaux…
Ania — Tu n’as pas de maison ?
Oreste — Si. Mais vide. Mes parents sont morts dans un accident.
Moi j’ai survécu, j’ai eu de la chance.
Ania — Et tu n’as plus de… famille ?
Oreste — De famille… Maintenant, peut-être toi…
Ania — Ah bon ?
Pause.
Mais ce n’est pas à cause de moi que tu es là.
Oreste — C’est sûr. Comme toi, j’ai simplement compris que je ne
pouvais pas continuer comme ça. Mais je ne suis pas mal ici.
On est en bonne compagnie… Vraiment, je me sens comme
chez moi. Ce feu, cet espace, ces gens… c’est une sensation
étrange. Comme si c’était ça, le vrai, le juste… Précisément ici,
maintenant… Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
Ania — Franchement, je n’en sais rien. Quelle confusion ! Je croyais
vraiment que nous nous en sortirions, avec l’Europe ! Tant
d’efforts, tant de gens éclairés ! Pour tout perdre. C’est pire que
de se faire cracher dessus. Et qu’est-ce que nous allons devenir
maintenant ? Et le pays ? C’est comme si on avait lancé un train
et qu’il fonçait à pleine vitesse dans une énorme fumée noire.
Et là, quoi ? Un autre train ? Un précipice ? Une catastrophe ?
Oreste — Perdre une bataille, ce n’est pas perdre la guerre…
Ania — Sans doute... Mais là, ce n’est pas une guerre…
Oreste — Peut-être… Mais c’est peut-être une guerre différente,
qui ne ferait pas couler de sang.
Ania — Ah bon ? Ça existe, ça ? Il est là, le problème. Nous sommes
des gens paisibles. Eux, non. Il n’en sortira rien de bon.
Oreste — On verra…
Ania — On verra quoi ? Si on reste ici ? Nous sommes de moins en
moins nombreux, et bientôt tout le monde va s’en aller…
Oreste — Dis plutôt « va être dispersé »…
Ania — Toutes les nuits ils nous menacent… Ça suffit. ça ne sert
à rien d’essayer de nous chasser. Nous resterons assis, nous
chanterons.
Oreste — Ils ne veulent pas seulement nous chasser. Je suis sûr
qu’ils mijotent quelque chose pour cette nuit.
Ania — On n’a quand même pas fait ça pour rien ! Pourquoi une
seule grosse légume devrait décider pour tout le monde ?
Oreste — Il reçoit ses ordres d’une autre légume, encore plus
grosse…
Ania — C’est ça le plus énervant. Pourquoi devrions-nous obéir
comme un seul homme ? Pourquoi nous laisser dicter notre
manière de vivre ? Que sont-ils pour nous ? Ça fait trois siècles
qu’ils nous imposent leurs conditions ! Ils sont dans la merde
jusqu’au cou et ils y retiennent tout le monde. Ça suffit ! J’enrage
tellement de ne pouvoir rien y faire !
Oreste — La bataille n’a pas encore commencé et toi, tu te rends
déjà ?…
Ania — Non ! Mais qu’est-ce que nous pouvons faire, concrètement ?
Ils ont la police, les services de sécurité, les armes…
Oreste — Je sais. Mais je ne m’en irai pas. Je resterai ici. Tu sais,
j’ai l’impression d’être assis sur le dos d’un monstre en train
de se cabrer, et c’est très difficile de ne pas tomber, de se tenir,
de le maîtriser… Oui, il est très gros et très effrayant, et nous
sommes encore maladroits, mais nous sommes en haut. Comme
au sommet de l’Histoire… Tu comprends ?
Ania — Toi, l’alpiniste, tu vois des sommets partout. ça me rappelle
cette légende de la baleine endormie que les gens prenaient pour
une île. Ils vivaient dessus, mais l’île s’est réveillée et a jeté tout
le monde à la mer…
Oreste — Oui, c’est quelque chose comme ça, sauf que ce n’est pas
une baleine, mais quelque chose de plus effrayant et de plus
puissant encore…
Ania — Un dragon peut-être ?
Oreste — Tu chauffes, mais ce n’est pas ça non plus, c’est quelque
chose d’encore plus imaginaire, qui n’a pas de nom. à la fois
oublié et nouveau.
Ania — Au fait, tu sais ce qui a réveillé la baleine de la légende ? Le
feu. (Elle jette quelque chose au feu.)
Oreste — Oui, nous aussi nous avons allumé le feu. Tu m’as
compris. Alors quoi : oui ou non ?
Ania — Tu n’as pas dit le plus important…
Lioub s’approche d’eux avec une bandoura 1.
Lioub — Mon ange, j’embrasse le bout de tes ailes… Ben alors, tu
es tout engourdie ? Viens là que je te réchauffe…
Ania, reculant vers Oreste — Mais non, je n’ai pas froid…
Lioub — Un peu de vin ? J’en ai du doux, comme les filles aiment…
Oreste, d’un air sombre — Il n’y a rien à fêter, et il est encore trop
tôt pour honorer les morts…
Lioub — Un peu tôt, en effet. Je disais ça comme ça, histoire de me
réchauffer et de réveiller l’esprit de combat…
Ania — Nous sommes près du feu, viens près de nous, tu te
réchaufferas…
Lioub, s’approchant du feu — Ils ont enlevé la scène 2. Vous savez
pourquoi ?…
Oreste — Tu crois qu’il va se passer quelque chose ?
Lioub — Va savoir ! Il y a quelque chose qui ne me plaît pas dans
tout ça… Il faudrait évacuer les filles…
Oreste se retourne et jette un oeil à la ronde, Ania observe d’un
air inquiet.
Ania — Il s’est passé quelque chose ?
Oreste — Pour l’instant, non… Je vais voir ce qui se passe à la
sécurité…
Oreste s’éloigne, mais les observe de loin, scrute l’obscurité,
puis sort.
Lioub — Pourquoi tu fais cette tête-là ? Ils n’ont pas le choix. Ils
le signeront cet accord d’association 1. ça ne sert à rien de se
prendre la tête. C’est pas encore la misère ?… Tiens, tu connais
la différence entre un malheur et une catastrophe ?
Ania — Non… Raconte…
Lioub — Eh bien, par exemple : la petite Sonia tombe malade.
C’est un malheur ? Oui. Une catastrophe ? Non. Et maintenant,
l’avion présidentiel s’écrase. C’est une catastrophe ? Oui. Mais
ce n’est pas un malheur…
Ania, dans un sourire ironique — Lioubomyr, tu es cruel !…
Lioub — ça ne me ressemble pas, les circonstances sont
exceptionnelles. Les jolies filles m’appellent Lioubtchyk, ou
simplement Lioub. Moi, je suis tendre et mes cheveux sont
soyeux : c’est vrai, touche ! (Il soulève ses cheveux, mais Ania
n’y touche pas.) Quelle réserve ! Mais bon, tu souris, et ton petit
sourire te va très bien, tu nous illumines comme un soleil. Bon,
d’accord, là il fait nuit, donc disons, comme une petite luciole.
Oreste revient, regardant les deux autres d’un air soupçonneux.
Ania recule vers Oreste.
Ania — Alors, qu’est-ce qu’ils disent, là-bas ?
Oreste — Ça a l’air calme, mais tous les députés se sont tirés…
Lioub — Qu’est-ce que tu veux, sans leurs micros, ils n’ont rien à
faire ici. Ania, tu prends un taxi ?
Ania — Je ne bouge pas d’ici… À la maison, ce serait carrément la
dépression.
Lioub — Mais c’est qu’elle est têtue ! Bon ben alors, un
antidépresseur ! Vous avez entendu la nouvelle chanson ? C’est
quelque chose !
Il sort son instrument, commence à jouer et à chanter La
Balançoire européenne 1. Oreste s’assombrit. Ania commence
à battre la mesure du pied, puis à danser. Elle tente de faire
danser aussi Oreste, mais il ne succombe pas au rythme. Il se
contente d’observer la jeune fille. Ils ne remarquent pas que le
brouhaha se calme et qu’on entend des détonations. Soudain
Ania pousse un cri.
Lioub — Les Berkouts 2 ! Tirez-vous ! Vite !
Lioubomyr s’arrête, se ressaisit, puis se met à courir avec son
instrument en entraînant Ania par la main. Celle-ci se dégage
et se précipite vers Oreste, qui revient enfin à la réalité et
regarde de tous côtés. On ne voit pas les visages des assaillants,
masqués, casqués, ombres impersonnelles. On imagine leurs
actes aux cris des héros.
Ania — Oreste, les Berkouts !
Oreste — Les salauds, de nuit… Va-t’en ! (Il la saisit par la main.)
Ania — Oh, mon sac, mon portable…
Oreste — Laisse tomber !…
Les Berkouts fondent sur Oreste en premier, celui-ci reçoit un
coup, mais réussit à rester debout et à se dégager. Au même
instant, il entend un cri terrible d’Ania.
Ania — Pourquoi ?
Oreste — Laissez-là !
Ania couvre sa tête et son visage, puis tombe et se recroqueville
au sol, en se protégeant des coups. Oreste bondit, vole au
secours d’Ania, la relève. Lioubomyr bondit à son tour et donne
un coup de bandoura à l’assaillant, puis se retourne vers les
fugitifs. Oreste emmène Ania, mais elle peut à peine marcher,
il la traîne presque. D’autres Berkouts les attaquent, Oreste la
pousse sur le côté.
Oreste — Cours, je te dis ! Je te rattraperai !
Les Berkouts fondent à nouveau sur Oreste, lui donnent des
coups de pieds à la tête, aux jambes, crient : « Enculés, c’est
l’Europe, que vous vouliez ? On va vous la montrer, l’Europe,
bande de pédés, connards de maïdanistes ! » Ania et Oreste
roulent sur le sol, chacun de leur côté. Le combat des ombres
continue.

1. Instrument de musique traditionnel ukrainien à cordes (plus de 50). (Sauf mention contraire,
toutes les notes sont des traducteurs.)
2. Une scène avait été installée sur le Maïdan, où se succédaient discours politiques, religieux,
citoyens, spectacles, cours d’université pour tous, etc.
1. Traité visant à établir entre l’Ukraine et l’Union européenne une association politique et
économique, et à remplacer l’accord de partenariat et de coopération (APC) en vigueur depuis
1998.
1. Chant créé, à l’occasion du Maïdan, par le groupe Folknery, qui interprète principalement
des chants populaires ukrainiens dans des arrangements contemporains. Ce chant est la version
contemporaine de kolomyjky populaires, courts chants à plaisanter et/ou à danser improvisés,
se présentant sous forme de distiques, et caractéristiques des Carpates. http://www.youtube.
com/watch?v=iu4s4N0AN4E.
2. Littéralement, « aigles ». Force armée à la solde du président Yanoukovytch, alors à la tête
de l’État ukrainien.

EXTRAIT 2

Séquence 11
Monologues 4
Ania — En fait, je ne peux pas vraiment dire de quelle nationalité
je suis. Si on s’en réfère aux noms, tout est mélangé : les
Ukrainiens, les Russes, les Allemands et même, semble-t-il, les
Rroms… Mais je suis née en Ukraine, c’est ma terre natale,
et j’ai l’impression que la langue, ce n’est pas simplement
juste comme ça, c’est le code génétique de la terre, du peuple.
Une fois, à une exposition sur la culture de Trypillia 1, j’ai
vu une poterie avec un motif exactement semblable à ceux
que faisaient ma grand-mère. La poterie avait cinq mille ans.
Je ne sais pas ce que signifiaient ces signes, mais il est très
important que nous conservions ce qui nous unit. Peut-être
que c’est comme ça aussi pour la langue. C’est comme si tu
pouvais entendre ce que te disent tes ancêtres, et c’est aussi
une sorte de station de radio divine : en Ukraine, elle est en
ukrainien, parce que c’est une station locale, alors qu’en russe,
elle vient de plus loin, c’est pour ça que tu l’entends de manière
vague et bruitée. Maintenant on parle de « bilingue », c’est à
la mode. En effet, nous le sommes presque tous. D’un côté,
c’est bien. C’est comme un dialogue interne de la conscience,
la compréhension de l’altérité. Mais il y a aussi autre chose :
deux langues entreprennent une guerre de suprématie pour
la manière de penser, pour l’âme, le coeur, les enfants. Car il
faut choisir en quelle langue parler avec son enfant. Et Dieu ?
En quelle langue lui parler ? Car cette guerre est inachevée, la
bataille dure depuis des siècles. J’ai lu l’Histoire et j’ai pleuré :
combien ont été arrêtés, torturés, assassinés pour que cette terre
reste ukrainienne ? Cent trente‑quatre interdictions de notre
langue en quatre siècles ! Si tu choisis le russe, ça signifie que
ces sacrifices ont été vains, et que les envahisseurs ont vaincu ?

Oreste — Habituellement, ceux qui s’affrontent le plus sont les
peuples voisins. C’est la même chose avec les langues : il leur
est même encore plus facile d’entrer dans la bataille. Lorsque
dans le mélange entrent des langues éloignées, il naît une
langue tierce. Alors que la guerre entre des langues proches
conduit souvent à l’anéantissement de la plus faible. Mais si
tes parents ont choisi pour toi ? Alors ça peut être ou comme
ci, ou comme ça. C’est la mémoire génétique qui peut vaincre,
en dépit de la langue étrangère. Je choisis la langue de mes
ancêtres, bien qu’elle ait été outragée, parce que c’était injuste.
Mais le plus souvent, c’est le contraire : le choix du plus fort,
c’est plus facile, ça ne demande pas d’efforts. Si je parle russe,
alors je suis un Russe, un gagnant. Puis une autre guerre interne
se développe : je deviens anti-ukrainien, je hais tout ce qui est
ukrainien. Je peux aller tuer des Ukrainiens parce qu’ils sont
différents, ils parlent ukrainien : ce sont des nationalistes. Mais
mépriser les autres langues, c’est ça, le nationalisme. Et aussi
une paresse fondamentale. Une autre langue, ça demande du
travail, des efforts. Alors que se battre contre les autres, c’est
plus facile que de faire un travail sur soi. Et maintenant, c’est la
guerre : dans les esprits, dans les âmes, sur les écrans et dans les
rues. Une guerre léthale. Elle commence dans le cerveau avec
les mots pour armes.

1. Culture archéologique brillante de l’ère chalcolithique (vers -5500 ~ -2750). Elle s’étendait
sur 350 000 km2, entre le Dniepr et les Carpates en Ukraine, mais aussi en Moldavie et en
Roumanie. Un millier d’objets archéologiques de cette culture sont actuellement exposés en
Ukraine.

EXTRAIT 3

Séquence 14
Monologues 5
Ania — Qu’est-ce qui a de la valeur selon toi ? La liberté, la
démocratie, la justice, la vie humaine, la dignité… La vie
humaine a-t-elle un prix ? Et la liberté ? Es-tu prêt à payer pour
ces valeurs ? Et comment ? Avec de l’argent ? ton travail ? ta
liberté ? ta santé ? ta vie ? la vie de tes proches ? Je ne suis pas du
tout prête à ça... Alors ça ne compte pas ? Alors demain seront
au pouvoir des criminels, ceux qui vont raconter des mensonges
à notre sujet… Mais alors que faire ? fuir ? abdiquer ? périr ? Je
ne connais pas la réponse… Mais il y a des gens qui sont prêts
à payer, à prendre des risques pour les autres… Ils disent que
les esclaves ne sont pas admis au paradis… Il y a aussi ceux qui
sont prêts à tout vendre : la dignité, la liberté, la vie des autres…
Prêts à payer ou prêts à être vendus, voilà ce qui répartit les
gens de chaque côté des barricades. Ces derniers temps, il y
a eu dans le monde beaucoup de couleurs et de révolutions,
beaucoup de zones grises aussi. La tolérance, le pluralisme :
quelles belles paroles… Il y a le noir et le blanc, il y a le bien et
le mal. Ce n’est pas nouveau, simplement tout est recouvert de
vase. Mais maintenant, c’est comme si une réaction chimique
avait lieu. Les particules élémentaires sont séparées, il n’y a
plus de nuances ni demi-teintes. C’est « oui » ou c’est « non ».
Et il me semble qu’ici et maintenant, en Ukraine, nous avons
pris conscience de ce qui se passe dans le monde : cette division
est universelle.

Oreste — Et là, sur les écrans de télévision, en Europe, en Amérique,
ceux qui professent ces valeurs démocratiques, sont-ils prêts
à payer ? Pensent-ils qu’ils en ont hérité à jamais ? Que les
lois et les soldats les protègent ? Rien n’est là indéfiniment.
Maintenant, nous le savons plus que jamais… Les bavardages
sans fin au sujet de sanctions. à quelle aune sont‑elles mesurées,
ces sanctions ? celle du sang ? Le prix à payer, c’est combien de
litres ? Vampirisme bon marché ? Il arrive un moment où se pose
la question du tarif, et de quel côté tu es. Je me rappelle encore
la phrase de Dante : « Les endroits les plus chauds de l’enfer
sont destinés à ceux qui, en période de grave crise, sont restés
neutres. » L’enfer… Ici pourtant, c’est le feu qui nous sauve.
Tout est inversé, c’est le monde à l’envers. Mais c’est de froid et
de solitude dont nous souffrons. Eh, les hommes, où êtes-vous ?
Vous regardez un reality show spécial tortures et assassinats ?
Mais ce n’est pas du cinéma, c’est la réalité, ça se passe à votre
porte, juste à côté de chez vous, et ça peut arriver jusque dans
votre propre maison. Peu importe ce que vous croyez. C’est
comme ça qu’arrive le fascisme, maintenant je comprends. Au
début, personne ne veut croire que ça peut arriver. Mais c’est
comme un virus qui se propage presque instantanément. Il faut
un vaccin pour tout le monde. Tant qu’il n’est pas trop tard…


Extraits du monologue de Dima, spectacle Le Bonheur, Théâtre KnAM, traduction Bleuenn Isambard

En 1991, tout a changé.
Nous avons reçu la liberté.
On a senti que s’ouvrait devant nous un avenir plein de possibilités.
C’était ce qu’on peut appeler un véritable bonheur.
Ma rencontre avec le théâtre KnAM, en 1993, a été l’événement le plus important de ma vie.
Travailler avec des gens pour qui la création est plus importante que le souci de son petit bien-être personnel,
créer des spectacles qui transgressaient les traditions théâtrales,
c’était un bonheur réel et sans fin,
même si tout autour régnaient le chaos, la criminalité, la destruction, le chômage...
Mais nous avions la liberté !
Et puis Poutine est arrivé.
Notre théâtre était né comme une entité indépendante, en réponse à un système qui contrôlait absolument tout.
Il n’y avait alors que des théâtres publics qui jouaient uniquement ce qui était autorisé par le KGB.
Nous, nous voulions jouer ce qui nous semblait important.
Et nous le faisions, même si l’État refusait de nous aider.
Et aujourd’hui, 36 ans après, on nous dit :
« Vous ne ferez que ce que nous autorisons, sinon, on vous reprend tout.
Et si vous n’obéissez pas, vous finirez en prison ».
De toutes façons, on nous a déjà presque tout repris.
Sans s’en rendre compte, on s’est de nouveau retrouvé en URSS.
Nous refusons de nous soumettre…
Mais vous savez, je ne veux pas aller en prison.
Ce qui me fait mal, c’est que beaucoup de gens autour de moi sont comme hypnotisés par le pouvoir.
Ils ne sentent pas qu'ils sont humiliés, dépouillés de leur liberté.
Comme s’ils n'en avaient absolument pas besoin.
Ils ne sont pas heureux, mais soit ils ne voient pas la cause de leurs malheurs, soit ils ont peur de l'admettre.
Et moi, à leurs yeux, je ne suis qu'un «traître à la patrie»…
Le plus terrible, c’est que tout ce que j’aime, c’est le théâtre.
Je ne peux pas le remplacer par autre chose.
Je redoute vraiment la fin de tout ça.


POÈME 3

« Prends », de Serhiy Jadan
Serhiy Jadan est un poète et romancier ukrainien contemporain, très connu et important en Ukraine, pour le moment assez peu traduit en français. Traduction d'origine Henri Abril

Prends le plus important.
Prends les lettres.
Ne prends que ce que tu pourras porter.
Prends les serviettes et les icônes,
Prends les couteaux en argent,
Prends les crucifix en bois, et les moulages dorés.

Prends du pain et des légumes, et pars.
Nous ne reviendrons jamais ici.
Nous ne reverrons jamais nos villes.
Prends les lettres. Toutes.
Même les plus cruelles.

Jamais plus ne retournerons dans nos épiceries de nuit.
Jamais plus nous ne boirons l’eau de nos puits.
Jamais plus ne reverrons ces visages connus.
Toi et moi sommes des réfugiés.
Toi et moi traverserons la nuit.

Toi et moi courrons le long de champs de tournesol.
Toi et moi fuirons les chiens, dormirons entre les bœufs.
Nous recueillerons de l'eau dans la paume de nos mains dans des camps de réfugiés,
Agacerons les dragons sur les drapeaux de combat.

Les amis ne reviendront pas et toi non plus ne rentreras pas.
Il n'y aura plus de cuisines enfumées ni de travail quotidien,
Il n'y aura plus de lumière endormie aux fenêtres, la nuit,
Il n'y aura pas de vallées vertes ni de campagne déserte.

Il n’y aura que du soleil sur la vitre sale du train,
Il y aura une fosse de choléra toute remplie,
Il y aura du sang sur les chaussures des femmes,
Des garde-frontières épuisés dans la neige.

Un facteur blessé avec un sac vide,
Un prêtre torturé au sourire béat,
Un silence de mort, le bruit du poste de commandement,
Les listes de morts, vite imprimées sans relecture,

Pour y chercher tous les matins
Mon nom.


POÈME 4

Je rêve d’un abri, de Halyna Kruk, traduction Antonina Gain

Je rêve d’un abri aux confins de ma mémoire
Seul survivant de mes cours d’instruction militaire
-              Il n’y aura plus de guerre – nous disait la maîtresse
Mais chacun de vous, les enfants, doit se souvenir :
En cas d’explosion nucléaire,
D’utilisation d’armes de destruction massive
Ou de tout autre autre incident
Il faut descendre dans un abri, éviter la panique, 
Ne prendre que le nécessaire, rien de superflu :
Des vêtements chauds, au cas où la guerre s’éterniserait jusqu’aux premiers froids– 
Dans les abris, vous savez, les enfants, on n’allume pas le chauffage
-              mais n’aurons-nous pas chaud même sans ça ? –
réplique pleine d’esprit, lancée du fond de la classe.
-              toi, Hrynovets, pas sûr qu’on te laisse y entrer,
Il n’y a pas assez de place pour tous, 
Les réserves d’eau et de nourriture sont limitées…
Maintenant je le sais :
Lors d’un tel Armageddon, on ne pourra pas éviter la panique
Combien seront piétinés
À l’entrée du dernier abri ?
Dieu, je ne sais pas comment tu feras ton choix – 
Un sur dix mille ?
Un sur un million ?
Et la marge d’erreur ?
Je veux croire qu’on s’en sortira sans discrimination
De genre, de race, de croyance
Je veux le croire… 
Combien de goulées d’air suffiront à chacun d’entre eux, 
Pendant qu’ils attendent leur deus ex machina…
-              Chaque classe, nous disait la maîtresse, - 
Doit écouter son maître 
Et je le répète encore une fois – 
Ne courez pas entre les couchettes, 
Gardez sur votre poitrine une étiquette avec votre nom, 
Calligraphié,
Et non en pattes de mouche, comme toi, Fedya…
Pour quoi faire ? – s’étonne toujours l’assemblée
Sûrement
Pour que les anges, 
Qui emporteront les âmes 
(Car en réalité personne ne survivra)
Pour que les anges en habits blancs ornés d’une croix rouge 
(et d’un croissant ?)
Pour que les anges, petit, sachent comment s’adresser à toi… 

CDN Besançon Franche-Comté

Avenue Edouard Droz
Esplanade Jean-Luc Lagarce
25000 Besançon

accueil@cdn-besancon.fr

03 81 88 55 11